« En Haute Savoie et Savoie la préservation de la montagne se heurte à la logique économique »
Le changement climatique et ses conséquences sur "les Savoie" sont évidemment un sujet brûlant. Il remet en cause le mono développement touristique fondé sur l’exploitation massive des champs de neige. Pour attirer et fidéliser des touristes, il fallait rendre attractif l’immobilier, d’où les investissements dans les remontées mécaniques, les autoroutes, l'aéroport et le transport ferroviaire à grande vitesse des passagers, à la charge de la collectivité publique. Ce tourisme, basé sur une logique de croissance sans fin, s’appuie sur la spéculation immobilière. Il a généré des emplois et défiguré la haute montagne. Les pouvoirs publics l’ont favorisé depuis le plan neige des années soixante jusqu’aux équipements annoncés pour les JO d’Annecy. Ce développement fonctionne comme la chaîne de Ponzi utilisée par Bernard Madoff : c’est le dernier qui investira dans l’immobilier qui perdra.
Aujourd'hui, la responsabilité des pouvoirs publics est de réorienter l’économie touristique. Mais on comprend que personne ne veut siffler la fin de la partie et désigner les perdants. C’est pourquoi le député Michel Bouvard trouve normal d’organiser une liaison téléphérique à travers le cœur du parc national de la Vanoise tout en se déclarant favorable à « une approche globale environnementale et [au] développement durable».C’est pourquoi les derniers présidents du Conseil général ne veulent pas qu’on impose des limites à l’extension des stations tout en appelants les savoyards à débattre du développement durable. Il y a le discours et la méthode !
Toutes ces contradictions se sont récemment exprimées dans un conflit violent entre ces élus influents et les chercheurs de l’Institut de la Montagne qui a abouti à la suppression administrative des moyens de recherche après l’immobilisation organisée de l’Institut et le refus de démissionner de la directrice de la recherche. Après ce forfait, il a été passé commande de nouveaux travaux à l’Université de Savoie que la récente loi sur l’autonomie rend parfaitement docile. On peut craindre là encore le double langage et que l’Université se consacre moins à la recherche universelle, et plus à des communications complaisantes pour les politiques locales.
Dans ce contexte, Force est de constater :
Le changement climatique provoqué par un mode de développement non maîtrisé est inéluctable : comme l’annonce le GIEC, les Alpes vont se réchauffer. Il faut donc non seulement modifier les comportements pour arrêter l’évolution climatique avant qu’il ne soit trop tard, mais aussi anticiper cette évolution et ne plus faire dépendre l’activité économique en montagne de la seule neige.
Trois axes s’imposent :
1. Stopper tous les projets susceptibles d’aggraver la situation : réduction de la consommation d’énergie fossile (pétrole, minerais), préservation de la biodiversité. Ainsi, la future directive territoriale pour l’aménagement des Alpes pose des limites aux équipements et impose des restrictions d’usage qui sont un minimum. Il faut soutienir le projet qui reste toutefois insuffisant. Ils faut s'opposer évidemment et comme en 1969 et en 1994 aux projets d’aménagements touristiques dans le parc national de la Vanoise.
2. Financer la recherche pour comprendre les évolutions possibles en multipliant les approches et en les confrontant ; donc sortir d’une logique de repliement sur elles des universités autonomes. Ces universités seront toujours sans ressources suffisantes et à la recherche de financements à courts termes des sponsors ou des collectivités locales. Il faut s'opposer a cette réforme des universités dont on a déjà vu les effets en Savoie avant même qu’elle soit en place ! Il faut organiser un grand pôle national de recherche et de confrontations sur la montagne en liaison notamment avec les autres pays alpins déjà signataires de la Convention alpine et les acteurs économiques qui ont des connaissances à partager.
3. Elaborer un plan de reconversion de l’économie touristique en fonction des hypothèses de changement climatique. Les Savoie doivent imaginer un projet de développement durable qui tienne compte des changements climatiques et offre des perspectives nouvelles plutôt que la poursuite d’un développement qui a abouti à la situation inquiétante actuelle. Il faut faciliter la reconversion de l'immobilier touristique en résidence principale dans les stations de moyenne montagne notamment. Il faut investir dans des activités économiques d’avenir et se désengager d’une dépendance à l’égard du tourisme saisonnier qui peut être douloureuse s’il vient à se réduire. Citons pour exemple : l'agriculture paysanne et biologique qui aujourd'hui, dans nos départements ne permet ent pas de répondre aux besoins des cantines scolaires, ou encore le développement de la reconversion du bâti et de la construction en bioclimatique et photovoltaïque (« plan thermique »). Mais le territoire dispose également de nombreux autres atouts touristiques non saisonniers à mieux valoriser. Il faut proposer un grand « plan de loisirs intelligents » qui s'appuiera sur les infrastructures existantes et offrira, non pas du ski, mais de multiples possibilités de loisirs toute l'année et pour tous, des enfants aux séniors : classes, cessions de formation, rencontres à thèmes, spectacles, festivals culturels, colonies de vacances, comités d'entreprise.
Pour ma part je rapelle que je suis opposé à l’organisation des Jeux Olympiques d’hiver pour lesquels Annecy pose sa candidature. Nous ne sommes pas contre le sport, ni contre la confrontation des sportifs les plus talentueux, mais s’opposent à un modèle de sport au service de la spéculation. L’organisation des JO asservit les territoires en justifiant des équipements disproportionnés, conçus pour faire des images diffusées à prix d’or au bénéfice d’aménageurs et d’équipementiers. Elle exclut toute réflexion tant sur l’avenir des milieux montagnards fragiles que sur l’élitisme du ski au regard des besoins de la population mondiale. Il y a d’autres urgences et mieux à faire.
Didier Dervant